mercredi 20 mai 2009

LA CRISE DES ANNÉES 1930




Par Pierre Desrochers
24 octobre 1998

La Grande Dépression des années 1930 est probablement le sujet le plus étudié en histoire économique américaine. Contrairement à certains mythes tenaces véhiculés par les opposants de l'économie de marché, il n'y a toutefois pas encore de consensus sur ses causes et sa durée exceptionnelle. Notre collaborateur entreprend donc aujourd'hui, dans la première de deux chroniques, de présenter une autre vision de la crise telle qu'elle a été élaborée par Friedrich Hayek, Murray Rothbard, Milton Friedman, Robert Higgs et d'autres auteurs libéraux.

* * *

La Crise des années 1930 est immanquablement présentée comme l'aboutissement logique du capitalisme sauvage. Victime de ses contradictions ayant mené à une crise de surproduction et à une concentration de la richesse dans les mains de quelques exploiteurs, l'économie de marché n'aurait été sauvée que par les interventions judicieuses du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Ce scénario présente toutefois un gros problème: il n'est corroboré par aucune donnée historique. Nous examinerons donc dans cette chronique une autre vision de la Grande Dépression, en soutenant que sa sévérité s'explique en bonne partie par les politiques du Federal Reserve Board américain et par les interventions subséquentes du président républicain Herbert Hoover, un homme que l'on présente ordinairement comme un libéral intransigeant.

L'inflation monétaire

La plupart des commentateurs économiques admettent aujourd'hui que le secteur privé est habituellement plus efficace que le secteur public car il fournit de meilleurs incitatifs pour faire toujours plus et mieux avec moins de ressources. La seule exception à ce consensus est le monopole étatique de la création de monnaie, généralement présenté comme nécessaire et inévitable. Or tous les économistes ne partagent pas ce point de vue. Les tenants de l'école dite autrichienne (parce que ses fondateurs étaient originaires d'Autriche) soutiennent ainsi que la nationalisation de la monnaie a souvent eu des conséquences économiques catastrophiques.

Plusieurs économistes autrichiens croient que la véritable cause de la dépression des années 1930 est la politique inflationniste des autorités monétaires américaines des années 1920. Selon l'économiste Murray Rothbard, le Federal Reserve Board aurait ainsi augmenté la masse monétaire de plus de 60% entre 1921 et 1929, ce qui a provoqué une baisse des taux d'intérêt et une augmentation considérable des investissements dans la capacité productive de l'économie américaine.

Selon les tenants de la théorie autrichienne des cycles économiques, une expansion ne reposant pas sur des gains de productivité mais sur une plus grande quantité de monnaie en circulation ne peut toutefois durer qu'un temps, car ses fondations ne sont pas solides. Parce qu'à plus ou moins long terme les ressources ne sont pas créées aussi rapidement que la monnaie, les coûts des entreprises augmentent, les taux d'intérêt sont revus à la hausse et les profits diminuent de façon drastique. Plusieurs entreprises font alors faillite et l'appareil productif d'une économie doit alors entreprendre une période de réajustement sévère afin de retrouver le chemin de la prospérité.

Ayant finalement réalisé qu'une politique d'inflation de la masse monétaire n'était pas viable, les autorités monétaires américaines ont entrepris de réduire la masse monétaire de près de 30% entre 1929 et 1932. Le crash de 1929 n'aurait donc pas été une cause de la crise, mais seulement un symptôme. Comme dans le passé, notamment lors de la brève récession de 1921, l'économie américaine aurait alors dû entreprendre une période de réajustement sévère qui l'aurait relancée sur des bases plus solides. Mais contrairement au credo libéral de l'administration américaine de 1921, le président Hoover et le Congrès américain décideront alors de prendre les choses en main.

Herbert Hoover, un républicain progressiste

Herbert Hoover et son administration (1928-1932) sont généralement présentés comme des gardiens de l'orthodoxie libérale, ce qui est pour le moins surprenant lorsque l'on examine leurs politiques. L'une des premières mesures prises pour contrer les effets du crash de 1929 fut ainsi la politique tarifaire des sénateurs Smoot et Hawley votée en 1930. Les politiciens américains décidèrent alors de hausser de façon importante plus de 887 tarifs et de taxer 3 128 produits qui entraient en franchise de douane aux États-Unis jusque-là. Cette législation, la plus protectionniste de l'histoire américaine, ferma ainsi les portes des États-Unis aux produits étrangers et déclencha une guerre tarifaire importante avec le reste du monde.

Or comme dans toute guerre tarifaire, la protection de producteurs nationaux peu compétitifs se fait aux dépens d'industries exportatrices beaucoup plus solides. Outre le fait que les consommateurs américains se virent obligés d'encourager des producteurs moins compétents que leurs compétiteurs étrangers, les principales victimes américaines furent les producteurs agricoles les plus dynamiques qui perdirent rapidement plus du tiers de leur marché. La faillite de plus d'une dizaine de milliers de producteurs agricoles entraîna à son tour un nombre record de faillites de banques rurales et la destruction des avoirs de centaines de milliers d'épargnants.

L'administration Hoover – agissant en cela en précurseur du gouvernement Bouchard – décida alors de donner des subventions importantes au monde agricole pour calmer une colère provoquée par les politiques gouvernementales. On distribua ainsi plusieurs centaines de millions de dollars (une somme considérable à l'époque) aux producteurs de blé et de coton. L'administration Hoover ne se contenta toutefois pas d'intervenir dans le monde agricole. On mettra ainsi sur pied une Reconstruction Finance Corporation qui distribuera des milliards de dollars en subventions à diverses industries. Ces mesures seront si importantes que la portion du PIB accaparée par l'administration fédérale américaine augmentera de plus de 30% entre 1930 et 1931.

Le coût de ces mesures ne se fit toutefois pas attendre et l'administration fédérale américaine dût rapidement hausser les taxes et les impôts. C'est ainsi que le Revenue Act de 1932 doubla le montant d'impôt payé par la plupart des contribuables américains (les plus touchés furent toutefois les plus nantis, dont la tranche d'imposition maximale passa de 24% à 63%). La plupart des exemptions fiscales furent alors abolies tandis que les impôts corporatifs et les taxes sur la valeur foncière, l'essence, les automobiles et plusieurs autres produits augmentèrent considérablement.

Comme on s'en doute bien, l'administration Hoover devint rapidement impopulaire. L'ironie de la chose, c'est que lors de la campagne électorale de 1932, F. D. Roosevelt reprochera plus que tout à l'administration Hoover sa folie dépensière, ses hausses de taxes, l'augmentation considérable de la dette fédérale, les restrictions au commerce et ses mesures ayant transformé des millions de travailleurs en parasites de l'État. Comme l'a souligné Lawrence Reed:

[Roosevelt] accused the president of « reckless and extravagant » spending, of thinking « that we ought to center control of everything in Washington as rapidly as possible », and of presiding over « the greatest spending administration in peacetime in all of history ». Roosevelt's running mate, John Nance Garner, charged that Hoover was « leading the country down the path of socialism ».

Que l'on partage ou non la philosophie libérale en matière économique n'enlève rien au fait que l'on ne peut blâmer le libre marché ou les contradictions inhérentes du mode de production capitaliste pour la crise des années 1930. Bien au contraire, si l'on peut tirer une leçon des premières années de la crise, c'est qu'elle coïncida avec une augmentation sans précédent de l'intervention économique du gouvernement fédéral américain. Nous verrons dans la prochaine chronique en quoi la politique du New Deal de l'administration Roosevelt ne fera qu'empirer la situation.

Nous avons vu dans la chronique précédente comment les politiques interventionnistes de l'administration Hoover et du Congrès américain transformèrent un ajustement structurel sans doute passager en une crise économique sans précédent. C'est ainsi que malgré le rôle considérablement accru du gouvernement fédéral, la production minière et industrielle des États-Unis diminua de plus de la moitié entre 1929 et 1933. L'avoir réel des consommateurs chuta quant à lui de 28% durant cette période, tandis que le nombre de chômeurs passa de 1,6 à 12,8 millions, faisant monter le taux de chômage à près de 25%.

Le volte-face de Roosevelt

En réaction aux politiques interventionnistes de Herbert Hoover, Franklin Delano Roosevelt tint un discours des plus libéraux lors de la campagne électorale de 1932. Il promit alors une réduction de 25% des dépenses fédérales, un budget équilibré, un dollar stable basé sur l'étalon-or, le retrait du gouvernement fédéral de domaines où le secteur privé serait plus efficace et l'abolition pure et simple des subventions agricoles instaurées par les républicains. S'appuyant sur cette plate-forme, Roosevelt remporta une victoire des plus convaincantes en obtenant 472 votes du collège électoral contre seulement 59 pour le président sortant.

Roosevelt changera toutefois complètement sa politique économique après sa prise du pouvoir et mettra en branle un train de mesures que l'on qualifiera éventuellement de New Deal. Le nouveau président n'innovait toutefois pas réellement, comme le soulignera bien des décennies plus tard l'un de ses principaux lieutenants, Rexford Guy Tugwell:

« We didn't admit it at the time, but practically the whole New Deal was extrapolated from programs that Hoover started. »

Roosevelt ne fera donc qu'amplifier les politiques des années précédentes. C'est ainsi qu'entre 1933 et 1936, les dépenses du gouvernement fédéral américain augmenteront de 83% et sa dette de 73%. L'administration Roosevelt adoptera donc une politique « keynésienne » bien avant la parution de la Théorie Générale de l'économiste britannique en 1936. Il est pour le moins ironique de constater que Keynes suggéra de « sauver le capitalisme » en adoptant des mesures interventionnistes déjà en vigueur aux États-Unis depuis le début de la Grande Dépression! Voici d'ailleurs une liste partielle des principales mesures adoptées par l'administration Roosevelt avant la parution du plus influent traité d'économie de ce siècle.

1933
Agricultural Adjustment Act
National Industrial Recovery Act
Emergency Banking Relief Act
Banking Act of 1933
Federal Securities Act
Tennessee Valley Authority Act
Gold Repeal Joint Resolution
Farm Credit Act
Emergency Railroad Transport Act
Emergency Farm Mortage Act
Home Owners Loan Corporation Act

1934
Securities Exchange Act
Gold Reserve Act
Communications Act
Railway Labor Act

1935
Bituminous Coal Stabilization Act
Connally (« hot oil ») Act
Revenue Act of 1935
National Labor Relations Act
Social Security Act
Public Utilities Holding Company Act
Banking Act of 1935
Emergency Relief Appropriations Act
Farm Mortage Moratorium Act

1936
Soil Conservation & Domestic Allotment Act
Federal Anti-Price Discrimination Act
Revenue Act of 1936

L'administration Roosevelt n'en restera évidemment pas là et continuera d'adopter tout un train de mesures interventionnistes jusqu'à l'entrée en guerre des États-Unis en 1941, alors que des contrôles exceptionnels seront mis en place. Il serait évidemment beaucoup trop fastidieux d'examiner chacune de ces mesures, mais nous nous devons de souligner les plus aberrantes. L'Agricultural Adjustment Act (AAA) est sans doute la politique la plus célèbre. Il s'agit en effet de la mesure à partir de laquelle on entreprit de détruire des millions d'hectares de récoltes et d'abattres des millions de têtes de bétail pour « soutenir » (i.e. maintenir artificiellement élevés) les prix des denrées agricoles.

L'AAA est donc l'ancêtre des politiques actuelles qui découragent l'innovation tout en faisant payer plus cher aux consommateurs de produits agricoles. La mesure la plus radicale fut toutefois le National Industrial Recovery Act qui engendra notamment la National Recovery Administration. Sous l'égide des fonctionnaires de la NRA, plusieurs entreprises manufacturières furent regroupées de force sous l'autorité de cartels gouvernementaux. À l'instar du modèle économique prôné dans les pays fascistes, on introduisit divers décrets qui déterminèrent les prix et les termes de vente entre les entreprises, ce qui mena parfois, selon certains économistes, à une augmentation de près de 40% des coûts de production des entreprises. De façon générale, la plupart de ces mesures augmenteront considérablement le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises, tout en favorisant la création de toutes une séries de postes inutiles. Comme le souligne sarcastiquement Lawrence Reed:

Roosevelt's public relief programs hired actors to give free shows and librarians to catalogue archives. The New Deal even paid researchers to study the history of the safety pin, hired 100 Washington workers to patrol the streets with balloons to frighten starlings away from public buildings, and put men on the public payroll to chase tumbleweeds on windy days.

Les politiques du New Deal ne remportèrent évidemment pas l'assentiment général. Plusieurs seront même contestées jusqu'en Cour suprême qui se révélera d'abord hostile aux politiques de Roosevelt. C'est ainsi que les neuf plus importants magistrats des États-Unis déclareront inconstitutionnels le National Industrial Recovery Act en 1935 et le Agricultural Adjustment Act en 1936. Par pure coïncidence sans doute, l'économie américaine reprendra du mieux dès que ces mesures furent abolies, le taux de chômage passant de 18% en 1935 à 14% en 1936 et 13% en 1937. L'administration Roosevelt ne se laissa toutefois pas démonter et adopta par la suite un autre train de mesures, notamment:

1937
Bituminous Coal Act
Revenue Act of 1937
National Housing Act
Enabling (Miller-Tydings) Act

1938
Agricultural Adjustment Act
Fair Labor Standards Act Civil Aeronautics Act
Food, Drug & Cosmetic Act

1939
Administrative Reorganization Act

1940
Investment Company Act
Revenue Act of 1940
Second Revenue Act of 1940

Or malgré toutes ces nouvelles mesures, subventions et législations, le nombre de chômeurs en 1940 était toujours supérieur à 11 millions (et ce, sans compter les trois millions d'Américains enrôlés dans divers programmes gouvernementaux temporaires ne réglant aucun problème important). L'augmentation des taxes, des impôts et des subventions de l'administration Roosevelt se traduisit ultimement par une contraction substantielle (-3,1 milliards de dollars!) de l'investissement privé entre 1930 et 1940. Comme le souligna à l'époque le poète libertarien Berton Braley:


A dollar for the services
A true producer renders –
(And a dollar for experiments
Of Governmental spenders!)
A dollar for the earners
And the savers and the thrifty –
(And a dollar for the wasters,
It's a case of fifty-fifty!)


Les croyances selon lesquelles la Dépression des années 1930 fut l'aboutissement logique du capitalisme et le New Deal aida l'économie américaine à se remettre sur ses pieds sont sans fondement. Des milliers de ponts, barrages, autoroutes et infrastructures de toute sorte furent évidemment construits durant cette période, mais la plupart ne furent qu'une diversion de fonds que le secteur privé aurait investi dans d'autres domaines afin de réaliser de véritables gains de productivité et de répondre aux véritables attentes des consommateurs. Les structures les plus durables du New Deal furent toutefois les multiples bureaucraties et agences réglementaires qui se virent ultérieurement légitimer par la popularité croissante des théories keynésiennes. Mais croire que ces bureaucraties ont relancé l'économie américaine n'est qu'un mythe perpétué par des générations d'enseignants et de journalistes.


1. Le lecteur désireux de consulter les sources originales est invité à lire les ouvrages suivants:


FRIEDMAN, Milton F. , A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press, 1963.
HAYEK, Friedrich A.,
Profits, Interest and Malinvestment, and Other Essays on the Theory of Industrial Fluctuation, (1939), Réimpression par Augustus M. Kelley, 1975.
HAYEK, Friedrich A.,
The Pure Theory of Capital, (1941), Réimpression par The University of Chicago Press, 1975.
HIGGS, Robert F., « Regime Uncertainty: Why the Great Depression Lasted So Long and Why Prosperity Resumed After the War »,
The Independent Review, 1(4), 1997, 561-590.
ROTHBARD, Murray N., America's Great Depression, (1962), Réimpression par Sheed and Ward, 1972.

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