lundi 11 mai 2009

Dix mille dollars , l'assiette : Tolérance Zéro à New-York





Guy Sorman
11 mai 2009



À New York, toutes les caisses ne sont pas vides. On sait que la tradition américaine est de financer la culture et les idées par le volontariat. Les dons particuliers sont déductibles des revenus : cela aide. Ces dons, pour l’essentiel, vont aux Eglises dont on attend quelque service ici et au-delà. Suivent les universités, les écoles, les Fondations culturelles : musées, concerts et théâtre se retrouvent, depuis la crise, au régime. Mais pas les causes politiques, et surtout pas chez les Conservateurs : écrasés par Obama, par la victoire électorale et idéologique du Parti Démocrate et par la panne du capitalisme, les Conservateurs sont abattus mais pas découragés. Ni ruinés . Il règne plutôt dans leur camp une atmosphère de reconquête. Ainsi, l’autre soir, 29 avril, la Fondation Manhattan Institute est-elle parvenue à remplir une des plus grandes salles de la ville, le Cipriani (symboliquement, une ancienne banque) de convives payants : un dîner qui aura rapporté un million et demi de dollars à la Fondation.

Le Manhattan Institute, avec son magazine, City Journal, est un vivier d’idées pour que vive le capitalisme, que recule l’étatisme et que New York reste la capitale du monde. Le maire, Michael Bloomberg, était donc là – en ouverture – et en campagne électorale pour un troisième mandat. Son propos (ponctué d’anecdotes hilarantes, et d’auto-dérision ,évidemment rédigées par un professionnel de la scène politique) fut entièrement axé sur la sécurité. Depuis son prédécesseur Rudy Giuliani, c’est sur la sécurité que l’on se fait élire à New York. Hommage fut rendu par Bloomberg aux travaux du Manhattan Institute d’où émergea, il y a vingt ans, la théorie dite de la Tolérance zéro. Les résultats sont étonnants : le crime, sous toutes ses formes, ne cesse de baisser à New York. « On s’attendait, dit Bloomberg, que la crise et le chômage raniment la délinquance : cela n’est pas le cas, la baisse continue ». Après Bloomberg, vint son chef de la police, Ray Kelly, le vrai héros de la soirée : l’homme qui valait bien dix mille dollars l’assiette (des côtes d’agneau trop cuites). Kelly a des mâchoires carrées comme les Marines dans les mauvais films : c’est un ancien Marine. Il réitéra la doctrine : "le crime ne s’explique pas, il se combat". Inutile de chercher à comprendre le pourquoi et le comment psycho-sociologique de la délinquance, dit Kelly : on réprime dans l’œuf et ça marche très bien. "Grâce à la sécurité, avait dit Bloomberg, New York, par-delà la crise, restera la capitale financière et culturelle planétaire". Kelly ne s’attarda pas trop sur des aspects plus discrets de la sécurité à New York : en particulier, l’infiltration des réseaux présumés du terrorisme. « L’infiltration, m’avait dit Kelly, en aparté, contre les terroristes, il n’y a que cela de vrai ».

La Tolérance zéro est-elle la seule raison du recul de la délinquance à New York ? Seule, sans doute pas : le vieillissement de la population, l’embourgeoisement de la ville en raison des prix de l’immobilier jouent aussi. La disparition du krach, remplacé souvent par l’héroïne, induit ( dit la police) des comportements moins agressifs. Il n’empêche que la doctrine, si elle n’explique pas tout, contribue pour beaucoup. Pourquoi n’est-ce pas mieux accepté en Europe ? L’application de la Tolérance zéro supporte un certain consensus idéologique : or, les Européens sont partagés. Elle suppose que les juges pensent comme les policiers et ne relâchent pas les délinquants : ce n’est pas le cas en Europe. Elle exige enfin que la société dans son ensemble estime normal que les délinquants soient en prison : les Américains l’acceptent mieux que les Européens.

Comment expliquer le penchant américain pour cette Tolérance zéro et ses conséquences sévères ? La culture américaine, sans doute, est-elle celle du règlement du compte à OK Corral : tout est permis, mais tout est puni. Il s’y ajoute, à New York, le cosmopolitisme. Je m’explique : les immigrés, de toute origine, peuplent New York et sont acceptés sous deux conditions : ils travaillent et ils respectent les règles. L’immigration sans un Ordre dur conduirait au chaos : ce fut le cas dans les années 1970 et cela peut se comprendre. La diversité culturelle ne conduit pas spontanément au respect de l’ordre public, mais une bonne police permet de concilier la diversité culturelle avec l’ordre public : un principe , à méditer ..

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