jeudi 2 février 2012

Et si Jean-François Lisée était médecin…



 - Bonjour monsieur Tremblay

- Bonjour Docteur Lisée

- Comment allez-vous?

- Eh bien, me semble que c’est pour ça que je suis venu. Pour que vous me disiez comment je vais.

- Ha! Ha! Ha! Quel bout en train, vous faites. Je vous sens un peu crispé et légèrement déprimé, est-ce que je me trompe?

- Vous avez raison. Mais que voulez-vous, la situation me stress au plus haut point. Le mot cancer, on espère ne jamais l’entendre de la bouche de son médecin et depuis que vous m’avez parlé de vos légers doutes à ce sujet, on dirait que je vis un cauchemar éveillé, et ce, même si vous m’avez dit que le risque était minime.

- Je vous avais dit de ne pas vous en faire. D’ailleurs, c’est vous qui m’avez amené sur ce terrain.

- Je le sais. Que voulez-vous, je suis mal fait.

- Détendez-vous un peu. Parlez-moi de vos projets d’avenir !

- Hein?

- Allez! Vous avez compris. Je veux que vous me parliez de vos projets d’avenir.

- Aaaahhh! Merci Docteur, merci mon Dieu. J’ai tellement eu peur. Vous ne savez pas à quel point vous m’enlevez un poids de sur les épaules.  Durant les deux dernières semaines, je ne vivais plus; je regardais mes enfants et ma femme, en me disant que je ne pourrais leur annoncer une aussi terrible nouvelle. Vous comprenez, Docteur, j’avais l’impression de les abandonner comme un lâche. Vous savez que ma femme n’a qu’un petit emploi à mi-temps et avec les problèmes de santé de mon plus vieux, on s’est passablement endetté dans les dernières années. Et puis, je me culpabilisais de ne jamais avoir pris d’assurance-vie.  Crisse que je me suis trouvé cave.  D’ailleurs, la première chose que je ferai en sortant de votre bureau, c’est aller rencontrer un courtier d’assurances.  Mes revenus ne me le permettent pas, mais j’en fais ma priorité… heu! Prioritaire.

- Bon! Voilà qui est intéressant.

- Je vais prendre plus de temps pour moi et avec ma conjointe aussi. Avec le brouhaha du travail, des enfants, des problèmes de santé et des problèmes financiers, on dirait qu’on s’est perdu de vue. On va se retrouver.

- Vous voyez comment une simple perception négative peut totalement empoisonner votre vie. On la remplace par du positif et tout redevient possible.

- C’est certain. Mais ce n’est pas qu’une perception. Si vous m’aviez annoncé que j’avais un cancer, il n’y a pas une idée positive qui m’aurait redonné sourire et espoir.

- Pourtant, vous faites la preuve du contraire.

- Bah! Si vous voulez. Je suis trop de bonne humeur pour m’obstiner. La vie me donne une seconde chance.

- Vous êtes beau à voir.

- Merci Docteur Lisée. Bon, ce n’est pas que je ne vous aime pas, au contraire, mais si on a terminé, je vais me rendre immédiatement chez un courtier d’assurances-vie.

-  Monsieur Tremblay, assoyez-vous.

- Ah bon!

- Vos examens ont révélé une petite anomalie au niveau de certaines cellules de vos poumons.  Il semble que certaines aient subi une mutation.

- Ben là! Ça veut dire quoi en clair?

- Monsieur Tremblay, ne perdez pas la belle attitude positive et rayonnante que vous aviez, il y a à peine une minute.

- Vous m’inquiétez.

- Lorsque des cellules entrent en mutation, elles sont généralement éliminées. Toutefois, il arrive que certaines de ces cellules demeurent en vie et qu’elles se mettent à se reproduire de manière désordonnées.

- … Un cancer???

- Bon bon! Tout de suite les gros mots. Calmez-vous, bon sens. Personnellement, je n’utilise pas ce mot car il a pris une connotation tellement péjorative avec le temps, au lieu de jouer son rôle, c’est-à-dire, de ne décrire qu’une pathologie.  Aujourd’hui, on accoleà ce mot,  des calamités telles que « mort » et « souffrances ».  Ce mot est tellement négatif…

- Mais vous veniez juste de me dire que je n’avais rien.

- C’est archi-faux. C’est vous qui êtes sauté aux conclusions, alors que je vous avais demandé de me parler de vos projets d’avenir.

- … Quel avenir? Vous vouliez me torturer?

- À voir votre attitude affolée, vous ne feriez pas long feu, et même, sans dérèglement de vos cellules.

- Dr Lisée, pouvez-vous appeler un chat, un chat? Merde! Quel est le pronostic?

- Le pronostic, le pronostic. Pour l’instant tout va.

- Mais merde! Un cancer du poumon. J’ai entendu le Dr Duhaime à la télé, l’autre soir, dire que le cancer du poumon avait un des pires pronostics.

- Le Dr Duhaime? Vous me parlez de ce vulgaire alarmiste populiste qui est une nuisance pour la profession de  médecin? Ce gars qui a réussi à tellement abaisser cette noble science, au point de la rendre compréhensible par le dernier des ignares? Ce populiste de bas étage qui déteste ses patients en leur annonçant les pires diagnostics et les pires pronostics?

- Ben…

- Ce gars-là est un criminel. C’est lui qui tue ses patients en leur annonçant toutes ces choses négatives et déprimantes.

- Mais Dr Lisée, il faut bien dire la vérité aux patients.

- C’est faux, c’est archi-faux. Vous étiez pratiquement mort en entrant dans mon cabinet et mon optimisme contagieux vous a insufflé la vie.

- Vous ne m’avez pas dit la vérité et j’ai pensé que je n’avais rien.

- Vous vous êtes senti mieux et pourtant vous aviez encore votre dérèglement cellulaire. Vous voyez donc les vertus de l’optimisme.

- Vous êtes malade docteur.

- Vous ne me contaminerai pas avec votre défaitisme, M Tremblay.

- N’importe quoi. Quelle est la suite des choses? Que va-t-il m’arriver? Ma femme et mes enfants vont être effondrés. En plus, je les laisse dans le pétrin, avec une dette et des paiements trop gros.  Si je décède, je n’ai aucune assurance. Merde! Merde! Merde! Juste ça, ça va me tuer.

- …

- Qu’est-ce qu’on fait maintenant. Vous m’opérez? Chimio? Dites-le moi, il faut que je le sache.

- Bon! Premièrement, vous allez vous reposer et penser à autre chose durant les deux prochains mois. C’est primordial, afin de bien réagir aux traitements. Dans deux mois, on va commencer des traitements de chimiothérapie.

- Dans deux mois? Mais le Dr Duhaime a dit que ce qui était crucial dans le traitement du cancer, c’était le délai entre le diagnostic et le premier traitement.

- C’est archi-faux, encore une fois. Duhaime et cancer, deux mots aussi horribles, l’un que l’autre. Dans le fonds, ils vont bien ensemble. C’est sûrement parce que le Dr Duhaime aime ses patients qu’il utilise des méthodes et une approche aussi absurdes…

- Comment voulez-vous que je pense à autre chose durant deux mois, pendant que vos « cellules mutantes » se reproduisent dans mes poumons?

- Ah! Voilà qui est mieux. Votre vocabulaire s’améliore.

- J’ai combien de chances de m’en sortir?

- Si vous êtes optimiste, au moins 80%.

- C’est trop beau pour être vrai. Vous avez pris ça où, ces statistiques-là?

- Dans Wikipédia.  Celles qui proviennent d’autres sources  autres sont trop négatives, elles nuisent donc à la guérison.

- …

- Bon! Allez vous reposer et ma secrétaire vous appellera afin de fixer la date de votre premier traitement.

- Vous n’avez rien d’autre à me dire que, je devrais savoir?

- Non!

- Certain?

- Non!

- Au revoir Docteur.

Une fois sorti de la chambre capitonnée, le Dr Tremblay se fait aborder par son collègue, un autre éminent psychiatre.

- Et puis?

- Il n’y a pas d’évolution. Nous recommanderons de maintenir l’internement pour les cinq prochaines années.

- Il est totalement déconnecté, hein?

- Tu ne pourrais mieux dire.

- Il y avait quoi dans le rapport cette fois-ci?

- Cancer du poumon avec métastases au foie, à l’intestin et aux os, bref, cancer en phase terminale avec un horizon de 3 semaines à 3 mois.

- Quel est ton prochain patient?

- Le Dr Turcotte.

- Putain! Grosse journée.

*** Toute ressemblance avec des personnages publics n'est pas du tout fortuite.

Yannick Gagné
Libre@penseur
2 février 2012