Guy Sorman
29 janvier 2009
Les scénaristes de Hollywood prennent souvent des libertés avec la vérité historique ; mais les metteurs en scène ont en général le bon sens de ne pas blanchir les sadiques et les meurtriers. A l’exception du nouveau film de Steven Soderbergh sur Che Guevara qui fait précisément cela, et pire encore.
Le Che, ce révolutionnaire romantique, incarné par Benicio del Toro dans le film de Soderbergh, n’a jamais existé. Ce héros de la Gauche, avec ses cheveux et sa barbe hippie, une icône que l’on retrouve dans le monde entier sur les t-shirts et les tasses à café, est un mythe concocté par les propagandistes de Fidel Castro – une création à mi-chemin entre Don Quichotte et Robin des Bois.
Comme toutes ces fables , le mythe du Che conçu par Fidel comporte quelques analogies superficielles avec les faits. Un Robin des Bois, qui volait aux riches et qui donnait une part de son butin aux pauvres pour travestir ses méfaits, a probablement existé. Des chevaliers à la Don Quichotte parcouraient probablement la campagne de l’Espagne médiévale, non pour tuer les dragons, mais les quelques Musulmans restants dans le pays.
Le même principe s’applique au Che de la légende. Comment un adolescent révolté contre le monde-ou ses parents- résisterait-il à l’image du Che ? Porter un t-shirt à son effigie est le moyen le moins coûteux et le plus rapide pour se donner l’impression d’être du bon côté de l’Histoire.
Ce qui séduit les adolescents comble aussi les metteurs en scène éternellement jeunes. Dans les années 1960, adopter l’allure du Che, avec sa barbe et son béret, était au moins une profession de foi politique, même si elle était superficielle. Aujourd’hui, elle n’est rien de plus qu’un accessoire de mode qui inspire une épopée hollywoodienne à gros budget. Des parcs d’attraction sur le thème du Che seront-ils la prochaine étape ?
Un véritable Che Guevara a toutefois existé : il est moins connu que sa marionnette . Mais le vrai Che fut une figure historique plus importante que son clone factice : il a incarné ce que la révolution et le marxisme signifiaient réellement au XXème siècle.
Ce vrai Che n’était pas un humaniste. Aucun dirigeant communiste n’a jamais cru aux valeurs humanistes ; Karl Marx n’en était certainement pas un et, fidèle à leur prophète, Staline, Mao, Castro et le Che n’avaient aucun respect pour la vie humaine. Le sang devait être versé pour baptiser un monde meilleur. Critiqué par l’un de ses premiers compagnons de route pour les millions de morts de la révolution chinoise, Mao lui fit remarquer que cela n’avait aucune importance, puisque d’innombrables Chinois mourraient de toute façon tous les jours.
De la même manière, Che Guevara pouvait tuer sans hésitation : après des études de médecine en Argentine, il choisit non de sauver des vies, mais de les supprimer. Après la prise de pouvoir par Castro, le Che fit exécuter cinq cents « ennemis » de la révolution sans jugement, sans discernement.
Fidel Castro, qui n’était pas un humaniste non plus, fit de son mieux pour neutraliser Che Guevara en le nommant ministre de l’Industrie. Le Che appliqua les politiques soviétiques aux Cubains : l’agriculture fut détruite et des usines fantômes parsemaient le paysage. Mais peu lui importait l’économie ou le peuple Cubain : son objectif était de poursuivre la révolution pour le plaisir de la révolution, comme de l’art pour l’art.
En fait, si ce n’était pour sa justification idéologique, le Che n’aurait rien été de plus qu’un tueur en série. Les slogans lui ont permis d’exterminer un nombre plus élevé de victimes que tout tueur en série, et cela au nom de la justice. Cinq siècles auparavant, il aurait probablement été l’un de ces moines soldats exterminant les Indiens latino-américains au nom de Dieu. Au nom de l’Histoire, le Che aussi considérait le meurtre comme un mal nécessaire pour une juste cause.
Supposons que nous jugions ce héros marxiste à l’aune de ses propres critères : a-t-il réellement transformé le monde ? La réponse est oui – pour le pire. Le Cuba communiste qu’il a contribué à forger est un échec complet et incontesté, bien plus pauvre et dépendant qu’il ne l’était avant sa « libération ». Malgré les réformes sociales appliquées à Cuba, que la gauche castriste aime mettre en avant, son taux d’alphabétisation était plus élevé avant l’accession de Castro au pouvoir et le racisme envers la population noire moins généralisé ; les dirigeants politiques ont bien plus de chances d’être des blancs aujourd’hui qu’à l’époque de Batista.
Au-delà de Cuba, le mythe du Che aura conduit des milliers d’étudiants et de militants d’Amérique latine à perdre la vie dans des guérillas hasardeuses. La gauche latino américaine , inspirée par le Che, a choisi la lutte armée à la place des urnes, ouvrant la voie aux dictatures militaires. L’Amérique latine n’est pas encore remise de ces retombées involontaires du guévarisme.
Cinquante ans après la révolution cubaine, ce continent reste divisé. Les pays qui ont rejeté le mythe du Che et choisi la voie de la démocratie et de l’économie de marché, comme le Brésil, le Pérou et le Chili, se portent mieux aujourd’hui qu’à tout autre moment de leur histoire : l’égalité, les libertés et le progrès économique ont progressé de concert. Tandis que ceux qui perpétuent la nostalgie du Che, comme le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie, sont aujourd’hui au bord de la guerre civile.
Le véritable Che, qui a passé de longues années en tant que président de la banque centrale cubaine, et chargé par Castro de superviser les exécutions, mérite d’être mieux connu. Il faudrait mieux connaître aussi les circonstances de sa mort . Fidel Castro aurait pu le sauver en payant une rançon aux militaires boliviens ( ce qui fut fait pour l'ôtage français Régis Debray ). Sous la pression des Soviétiques , Castro a choisi de lâcher Guevara : celui-ci était devenu trop idéaliste pour ses parrains . Si l’épopée en deux parties de Soderbergh est un succès au box-office, ses producteurs voudront peut-être que soit réalisée une suite plus proche de la vérité. Les éléments historiques pour tourner « La face cachée du Che » ne manquent pas.
Copyright: Project Syndicate, 2008.
http://www.project-syndicate.org/
Le Che, ce révolutionnaire romantique, incarné par Benicio del Toro dans le film de Soderbergh, n’a jamais existé. Ce héros de la Gauche, avec ses cheveux et sa barbe hippie, une icône que l’on retrouve dans le monde entier sur les t-shirts et les tasses à café, est un mythe concocté par les propagandistes de Fidel Castro – une création à mi-chemin entre Don Quichotte et Robin des Bois.
Comme toutes ces fables , le mythe du Che conçu par Fidel comporte quelques analogies superficielles avec les faits. Un Robin des Bois, qui volait aux riches et qui donnait une part de son butin aux pauvres pour travestir ses méfaits, a probablement existé. Des chevaliers à la Don Quichotte parcouraient probablement la campagne de l’Espagne médiévale, non pour tuer les dragons, mais les quelques Musulmans restants dans le pays.
Le même principe s’applique au Che de la légende. Comment un adolescent révolté contre le monde-ou ses parents- résisterait-il à l’image du Che ? Porter un t-shirt à son effigie est le moyen le moins coûteux et le plus rapide pour se donner l’impression d’être du bon côté de l’Histoire.
Ce qui séduit les adolescents comble aussi les metteurs en scène éternellement jeunes. Dans les années 1960, adopter l’allure du Che, avec sa barbe et son béret, était au moins une profession de foi politique, même si elle était superficielle. Aujourd’hui, elle n’est rien de plus qu’un accessoire de mode qui inspire une épopée hollywoodienne à gros budget. Des parcs d’attraction sur le thème du Che seront-ils la prochaine étape ?
Un véritable Che Guevara a toutefois existé : il est moins connu que sa marionnette . Mais le vrai Che fut une figure historique plus importante que son clone factice : il a incarné ce que la révolution et le marxisme signifiaient réellement au XXème siècle.
Ce vrai Che n’était pas un humaniste. Aucun dirigeant communiste n’a jamais cru aux valeurs humanistes ; Karl Marx n’en était certainement pas un et, fidèle à leur prophète, Staline, Mao, Castro et le Che n’avaient aucun respect pour la vie humaine. Le sang devait être versé pour baptiser un monde meilleur. Critiqué par l’un de ses premiers compagnons de route pour les millions de morts de la révolution chinoise, Mao lui fit remarquer que cela n’avait aucune importance, puisque d’innombrables Chinois mourraient de toute façon tous les jours.
De la même manière, Che Guevara pouvait tuer sans hésitation : après des études de médecine en Argentine, il choisit non de sauver des vies, mais de les supprimer. Après la prise de pouvoir par Castro, le Che fit exécuter cinq cents « ennemis » de la révolution sans jugement, sans discernement.
Fidel Castro, qui n’était pas un humaniste non plus, fit de son mieux pour neutraliser Che Guevara en le nommant ministre de l’Industrie. Le Che appliqua les politiques soviétiques aux Cubains : l’agriculture fut détruite et des usines fantômes parsemaient le paysage. Mais peu lui importait l’économie ou le peuple Cubain : son objectif était de poursuivre la révolution pour le plaisir de la révolution, comme de l’art pour l’art.
En fait, si ce n’était pour sa justification idéologique, le Che n’aurait rien été de plus qu’un tueur en série. Les slogans lui ont permis d’exterminer un nombre plus élevé de victimes que tout tueur en série, et cela au nom de la justice. Cinq siècles auparavant, il aurait probablement été l’un de ces moines soldats exterminant les Indiens latino-américains au nom de Dieu. Au nom de l’Histoire, le Che aussi considérait le meurtre comme un mal nécessaire pour une juste cause.
Supposons que nous jugions ce héros marxiste à l’aune de ses propres critères : a-t-il réellement transformé le monde ? La réponse est oui – pour le pire. Le Cuba communiste qu’il a contribué à forger est un échec complet et incontesté, bien plus pauvre et dépendant qu’il ne l’était avant sa « libération ». Malgré les réformes sociales appliquées à Cuba, que la gauche castriste aime mettre en avant, son taux d’alphabétisation était plus élevé avant l’accession de Castro au pouvoir et le racisme envers la population noire moins généralisé ; les dirigeants politiques ont bien plus de chances d’être des blancs aujourd’hui qu’à l’époque de Batista.
Au-delà de Cuba, le mythe du Che aura conduit des milliers d’étudiants et de militants d’Amérique latine à perdre la vie dans des guérillas hasardeuses. La gauche latino américaine , inspirée par le Che, a choisi la lutte armée à la place des urnes, ouvrant la voie aux dictatures militaires. L’Amérique latine n’est pas encore remise de ces retombées involontaires du guévarisme.
Cinquante ans après la révolution cubaine, ce continent reste divisé. Les pays qui ont rejeté le mythe du Che et choisi la voie de la démocratie et de l’économie de marché, comme le Brésil, le Pérou et le Chili, se portent mieux aujourd’hui qu’à tout autre moment de leur histoire : l’égalité, les libertés et le progrès économique ont progressé de concert. Tandis que ceux qui perpétuent la nostalgie du Che, comme le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie, sont aujourd’hui au bord de la guerre civile.
Le véritable Che, qui a passé de longues années en tant que président de la banque centrale cubaine, et chargé par Castro de superviser les exécutions, mérite d’être mieux connu. Il faudrait mieux connaître aussi les circonstances de sa mort . Fidel Castro aurait pu le sauver en payant une rançon aux militaires boliviens ( ce qui fut fait pour l'ôtage français Régis Debray ). Sous la pression des Soviétiques , Castro a choisi de lâcher Guevara : celui-ci était devenu trop idéaliste pour ses parrains . Si l’épopée en deux parties de Soderbergh est un succès au box-office, ses producteurs voudront peut-être que soit réalisée une suite plus proche de la vérité. Les éléments historiques pour tourner « La face cachée du Che » ne manquent pas.
Copyright: Project Syndicate, 2008.
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