Nathalie Elgrably-Levy
Le Journal de Montréal, p.29
19 mars 2009
C’est aujourd’hui que la ministre des Finances, madame Monique Jérome-Forget, dépose son budget, et on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle propose des mesures pour encourager la consommation. Le Mouvement Desjardins a d’ailleurs récemment publié une étude fortement médiatisée dans laquelle les auteurs insistent pour qu’elle emprunte cette voie. Et puis, comment pourrait-elle faire autrement alors qu’on nous martèle que la frugalité des consommateurs fait régresser l’économie? Pourquoi n’incriminerait-elle pas les acheteurs puisque les économistes de nos institutions financières les accusent avec véhémence?
Le discours actuellement véhiculé est sans équivoque: dépenser prudemment est un geste antipatriotique; épargner nous rend coupables de terrorisme économique. Si seulement nous, consommateurs individualistes et narcissiques, pouvions délier les cordons de notre bourse, tout irait mieux. C’est du moins ce qu’on tente de nous faire croire. Et, si on suit cette logique, les acheteurs compulsifs et les accros du shopping seraient des mécènes, de grandes âmes dont le comportement permet aux entreprises d’être rentables et aux travailleurs, de conserver leurs emplois.
Dans l’ordre du monde qu’on nous présente, les consommateurs sont au service des entreprises. Ils n’existent que pour permettre aux vendeurs d’écouler leurs marchandises. Et quand ils ne se conforment pas aux attentes, quand leurs goûts, leurs habitudes ou leurs priorités changent, on les blâme de saboter le système. Quand ils épargnent, on leur reproche de provoquer une crise économique.
Cette interprétation du système économique est tordue. On achète des biens pour combler nos besoins, non pour satisfaire les entreprises. Ce sont elles qui doivent répondre aux attentes des acheteurs, et non l’inverse. Si elles produisent des biens qui ne trouvent pas preneurs, c’est leur problème, non celui des consommateurs. Il n’y a pas si longtemps, une entreprise qui rencontrait des difficultés devait revoir son modèle d’affaire. Aujourd’hui, l’État imagine des moyens pour nous forcer à acheter ses produits. Jadis, le consommateur était roi. À présent, c’est un pantin à la disposition des producteurs. Nous étions libres de consommer ou d’économiser, mais cette époque est révolue. Après la société de consommation, voici maintenant l’ère de la consommation par coercition!
Certes, cette coercition est bien intentionnée, mais elle reste irrationnelle. On le sait, l’État doit financer ses programmes destinés à stimuler la consommation. Il doit donc taxer. Ainsi, il commence par réduire le pouvoir d’achat des individus pour ensuite l’augmenter. Il déprime la consommation pour après la stimuler. Or, si nos bons gouvernements étaient moins gourmands, s’ils résistaient à l’envie de vider nos poches, ils n’auraient pas besoin de nous «gratifier» de plans de relance.
Ce n’est pas tout. Tout le monde s’entend sur le fait que l’État réduit la rentabilité des entreprises et les décourage d’investir ou de prendre de l’expansion en raison d’une fiscalité étouffante et d’une bureaucratie débilitante. Or, quand les entreprises rencontrent des difficultés, quand elles sont incapables de compétitionner sur les marchés, on accuse les consommateurs de dépenser trop peu. N’est-il jamais venu à l’idée de nos élus que le secteur de la production se porterait mieux si on le laissait respirer un peu? N’ont-ils pas compris que le plus efficace des plans de sauvetage est celui qui délivre l’entrepreneurship de l’étau qui l’étrangle?
Malgré tout, on peut s’attendre à ce que le budget d’aujourd’hui présente des mesures de relance aussi illogiques qu’inutiles. Du bling-bling économiquement stérile, mais électoralement rentable. Pourtant, ce dont l’économie a besoin, ce n’est pas que l’État lui administre un antidote, c’est qu’il cesse de l’empoisonner!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
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