mardi 24 mars 2009

D'Asie, un message libéral





Guy Sorman
24 mars 2009


En ces temps de crise de la pensée autant que de l’économie, qui veut entendre un éloge raisonnable de l’économie de marché et du libre échange devra s’éloigner de l’Europe et partir vers l’Orient. À l’Ouest et à l’Est, les analyses et les comportements se trouvent radicalement contraires. En Europe, l’incertitude politique répond à la récrimination sociale : persuadés d’agir pour le bien commun, les gouvernements de toute appartenance creusent des déficits publics qu’à terme, il faudra bien financer par l’impôt ou par l’inflation. Le bénéfice de ces relances ? Peu démontrable, elles restent, pour l’instant, sans effet concret. Ne serait-ce pas, se demande-t-on en Europe, du capitalisme même dont il conviendrait de se défaire ? Le retour de l’Etat est très à la mode, mais en quoi rétablirait-il la prospérité ? On ne nous le dit pas. Il se crée même – en France il est vrai - des partis Anticapitalistes : ils sont contre mais se gardent de proposer des alternatives. Quant aux grèves rituelles, celles des fonctionnaires en France ou en Italie, on ne voit pas non plus par quel mécanisme, elles adouciraient le sort des chômeurs ?

Passons à l’Est. Au Japon, en Corée, à Taiwan, il m’a été impossible de lire ou d’entendre le moindre débat idéologique sur le capitalisme ou le libre échange. En Asie - à l’exception de la Chine où le socialisme fut importé depuis l’Occident- il n’a jamais existé de tradition autre que celle du marché : en temps de crise ou pas, le capitalisme est vécu en Orient comme étant la forme naturelle de l’économie. « Il nous est arrivé de nationaliser des banques », reconnaît Il Sakong, le chef de la stratégie économique du gouvernement coréen, mais « il est clair chez nous que ces sauvetages sont provisoires ». Il n’appartient pas à l’Etat, dit Il Sakong, de se substituer aux entrepreneurs.

En Corée, l’Etat ne répond-il pas, lui aussi, à la crise par des dépenses publiques ? « La baisse des taux d’intérêt ne suffit plus à stimuler la demande », reconnaît Il Sakong. On distribue donc des fonds directement à la population : mais c’est seulement pour aider les chômeurs et les plus pauvres dans une société où n’a jamais existé d’Etat providence. Ces aides sont destinées à rester ponctuelles et brèves : « Nous ne voulons pas du modèle européen qui démotive l’esprit d’entreprise et installe de la dépendance permanente », conclut Il Sakong. Autre trait, ancré dans la civilisation des lieux : les ouvriers de Hyundai partagent volontairement salaires et temps de travail de manière à ce que nul ne soit licencié.

Au Japon, dont on tend à oublier qu’il reste la deuxième puissance mondiale, la prudence est comparable : Heizo Takenaka, l’économiste le plus réputé du pays, inspirateur de la libéralisation des services publics, quand il fut ministre des Finances au début des années 2000, soutient lui aussi des aides sociales si elles restent ponctuelles ; et il nous met en garde contre la « stimulation ». Ne tombez pas, dit Takenaka, dans « l’erreur japonaise » des années 1990 : au cours de cette « Décade perdue », les gouvernements japonais s’étaient acharnés à relancer l’activité par la dépense publique : il en a résulté dix années de stagnation. La demande publique s’était substituée à l’investissement privé et à l’esprit d’entreprise. La stimulation, dit Heizo Takenaka, n’est acceptable que pour passer un cap difficile ; mais « au-delà de deux ans, il faut arrêter », pour ne pas courir le risque de détruire l’innovation.

Dans cette Asie, qui doit sa fortune à l’exportation, remettrait-on en cause un modèle économique fondé sur le libre échange ? « Ceux qui sont restés à l’écart du libre échange, comme la Corée du Nord ou la Chine de Mao Zedong, » rappelle Ma Ying Jeou, Président de Taiwan, « n’ont connu que la misère ». C’est par plus de libre échange, ajoute Ma, que l’Asie rebondira. À Taipei, Tokyo ou Séoul, on prépare déjà ce rebond : les entreprises qui ne survivent pas à la crise sont « restructurées » avec l’aide de l’Etat, les chômeurs sont assistés provisoirement mais la priorité publique va à l’innovation. Ainsi, au Japon et en Corée, les universités se voient-elles accorder plus d’autonomie, de manière à se rapprocher du modèle américain. « Il nous faut de meilleures universités, pour devenir plus novateurs et plus créatifs sur le marché mondial », commente Ahn Byong-man, le ministre coréen de l’Education, de la Science et de la Technologie. Dans cette même logique, le marché du travail coréen deviendra plus flexible pour faciliter la « destruction créatrice » et attirer les investisseurs étrangers.

La crise incite les dragons d’Asie vers plus de libéralisme. Sans panique, mais avec une seule crainte : le protectionnisme des Etats-Unis ou de l’Europe ou d’interminables stimulations publiques à la Obama qui prolongeraient la récession. Au sommet du G20 à Londres, le 2 avril, espère le Président coréen Lee Myung Bak, l’annonce (en principe acquise) d’un accord de libre échange entre l’Union européenne et la Corée du Sud devrait réveiller l’Occident et bousculer les Etats-Unis : de cette crise, nous dit-on en Asie, on sortira par l’échange, pas par l’étatisme ni le protectionnisme.

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