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mardi 10 mars 2009

La déité





Nathalie Elgrably-Lévy
Le Journal de Montréal, p. 29
05 mars 2009


Dans ma chronique de la semaine dernière, j’ai associé l’effondrement du Dow Jones aux politiques de l’administration Obama. Évidemment, comme chaque fois que j’exprime mon opinion sur les politiques du nouveau président, j’ai droit à une avalanche de courriels haineux dont le ton laisse supposer des expéditeurs ensorcelés par les incantations du leader américain, et programmés pour défendre son message. Manifestement, dans certains cercles, Obama est un dieu, douter de ses initiatives est un sacrilège, et désapprouver ses politiques, un péché capital!

Certes, chacun est libre de déifier la personne de son choix. Mais vouloir bâillonner quiconque n’adore pas le gourou ou ne pratique pas le culte, est une manœuvre inquisitoriale inacceptable dans une démocratie moderne. J’entends donc bien faire respecter mon droit de me dissocier du délire collectif, de refuser d’idolâtrer le nouveau président, et de décliner l’invitation à m’autocensurer. En revanche, je continuerai à apprécier Barack Obama pour ce qu’il est, soit le président des États-Unis, ni plus, ni moins. Et si ses prédécesseurs ont eu droit à la critique et à des propos quelquefois vitriolés, pourquoi Obama devrait-il être épargné?

L’équipe Obama est certainement très bien intentionnée. Mais les mesures adoptées depuis quelques semaines achèveront une Amérique déjà fragilisée. Dans le contexte actuel, il est impératif d’encourager la production. Pour y arriver, il faut stimuler l’investissement et inciter les entrepreneurs à prendre des initiatives. Or, ce n’est pas en augmentant l’impôt sur les gains en capital et sur les dividendes que Washington y parviendra, bien au contraire.

Il faut également augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs. Or, abolir les coupures d’impôts votées en 2001 et 2003 est une mesure contre-productive, car elle alourdit le fardeau fiscal des Américains. Globalement, les hausses d’impôts avancées par l’équipe Obama auront pour effet de décourager le travail, l’épargne, l’investissement et l’entrepreneurship, avec pour conséquences d’allonger et d’aggraver la récession, d’imposer une reprise lente et modeste, et de réduire la compétitivité des industries américaines. Obama affirme vouloir combattre la crise économique mais, par ses initiatives, il a déclaré la guerre à la prospérité!

Pis encore, il a endossé un tsunami de dépenses. À titre comparatif, les plans de sauvetage et de relance des dernières semaines ont coûté l’équivalent de 15 guerres en Irak. Certains affirment que les dépenses de l’État sont indispensables pour dynamiser une économie amorphe. C’est faux. George W. Bush a dépensé plus que n’importe lequel des ses prédécesseurs. Il a été incontestablement le président le plus interventionniste des 20 dernières années. On connait le résultat. Pour quelle raison les dépenses de la nouvelle administration seraient-elles donc plus efficaces?

Et puis, n’oublions pas que ces dépenses doivent être financées. Et même si Obama et Ben Bernanke évitent d’en parler, il est clair et inévitable que l’impression de monnaie est l’un des modes de financement retenu. Le processus a d’ailleurs déjà commencé. Il faut donc s’attendre à voir le retour de l’inflation d’ici la fin de 2009. Or, l’inflation est un phénomène sournois, une taxe implicite qui réduit la valeur de nos économies et notre pouvoir d’achat. C’est le cancer de l’économie.

Obama sait pertinemment que ses initiatives entraîneront une douloureuse inflation qui appauvrira rapidement les Américains. Mais, à en juger par les gestes posés, il s’en fiche royalement. Il est déterminé à faire avancer son agenda socialiste, même si ses ambitions occasionnent une destruction de richesses sans précédent.

Les belles paroles d’Obama font rêver beaucoup de gens. Mais le rêve se transformera en affreux cauchemar, ce n’est qu’une question de temps!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Le début de la fin




Nathalie Elgrably-Lévy,
Le Journal de Montréal, p. 21
26 février 2009


Malgré quelques soubresauts, les marchés boursiers sont en chute libre. Et même si la débandade occupe les médias depuis les deux dernières semaines, elle a réellement débuté en septembre dernier quand Obama a devancé McCain lors de la campagne présidentielle. Depuis, l'indice S&P 500 a dégringolé de 35,4%. Le Dow Jones a perdu presque 20% depuis l'élection du 4 novembre. Durant la seule journée du 21 novembre, il a perdu 6,5% après que le nouveau président eut nommé Thimothy Geithner comme Secrétaire au Trésor.

Ce n'est pas tout. La performance du Dow Jones au cours du mois de janvier a été la pire des 113 dernières années. Quant au plan de 789 milliards qu'Obama a signé il y a une dizaine de jours, il a fait de nouveau plonger le Dow Jones de 6,5%.

Évidemment, comme la quasi-totalité des analystes et des commentateurs sont béats devant le sourire du nouveau président, ils nient qu'un lien puisse exister entre la débâcle boursière et la nouvelle administration. Ils préfèrent proposer des explications aussi décousues que futiles, comme le manque de précision du plan de relance.

La réalité est pourtant simple. Si les marchés n'en finissent plus de s'écrouler, et si les plans de relance sont mal accueillis, c'est que les millions d'investisseurs n'apprécient ni la nouvelle administration ni ses initiatives pour stimuler l'économie.

Peut-on les blâmer? Obama, le Lucky Luke de la Maison-blanche, dépense plus vite que son ombre. Si on additionne tous les plans de relance, on atteint un total mirobolant d'environ 8000 milliards. Il faudrait dépenser dix millions par jour pendant presque 2 000 ans pour atteindre ce chiffre! Et comme ils seront en partie financés par l'impression de monnaie, il faut s'attendre à une inflation importante d'ici 12 à 18 mois. Et qui dit inflation, dit dévaluation de la monnaie. N'est-il donc pas logique que les investisseurs boudent la bourse et se tournent vers les valeurs sûres, comme l'or?

Si l'on tient compte de toutes les obligations, actuelles et futures, du gouvernement américain, y compris la sécurité sociale et les régimes publics de soins de santé, on arrive à 65 000 milliards. C'est plus que le PIB mondial! Concrètement, cela signifie que l'Oncle Sam est en faillite.

Les marchés boursiers en sont conscients et ils lancent un message clair. Ils ne veulent pas d'un gouvernement qui s'endette sans réfléchir. Ils n'apprécient pas que la Réserve fédérale poursuive une politique inflationniste. Ils n'approuvent pas que les contribuables soient forcés de secourir des constructeurs automobiles inefficaces ou des banquiers irresponsables. Ils se méfient d'un Sénat qui autorise un plan de relance de plus de 1000 pages sans même l'avoir lu. Ils n'admettent pas qu'au nom de la crise économique, on envisage de nationaliser des banques. Ils ne comprennent pas que leurs dirigeants, plutôt que de tirer des leçons de l'échec des efforts de relance du Japon dans les années 1990, s'apprêtent à reproduire les mêmes erreurs.

Des millions d'investisseurs constatent que l'Amérique renie tous les principes qui lui ont permis de devenir une puissance économique, et ils ont peur. Ils voient l'Oncle Sam prendre le virage socialiste, et ils préfèrent prendre la fuite. Ils constatent que leurs dirigeants prennent des décisions politiquement rentables, mais économiquement désastreuses, et ils sont écoeurés. Les bourses ne s'effondrent pas parce que les investisseurs saisissent mal les plans de relance. Elles s'écroulent parce qu'ils ont trop bien compris dans quel bourbier l'Amérique s'enfonce!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

jeudi 5 février 2009

Crise, qui est coupable?





Guy Sorman, pour ABC
05 février 2009


La crise économique est aussi une guerre idéologique : sur les origines de la récession, on cherche des coupables et sur les manières d’en sortir, on demande des prophètes. La ligne de front est connue : aux étatistes, elle oppose les libéraux, partisans du marché et de la mondialisation. Pour les étatistes , cette crise sonne comme une revanche après trente ans de domination de la doctrine libérale et de ses succès universels. Les libéraux, ébranlés par une crise qu’ils n’avaient pas envisagée, en sont encore à interpréter les événements : mais la pensée libérale, expérimentale par définition, serait infidèle à elle-même si elle n’évoluait pas. Les étatistes sont, eux, de tradition plus doctrinaire ; envisageons aussi qu’ils représentent les intérêts concrets de la bureaucratie publique. La revanche idéologique des étatistes est une reconquête du pouvoir, tandis que du côté libéral, les intérêts sont dispersés : les libéraux coïncident avec les intérêts des entrepreneurs, mais ne sont pas au service du patronat établi .

Les origines de la crise : est-ce une défaite de la pensée libérale ? Les économistes se querellant encore sur la Dépression de 1930, il paraît difficile de désigner dès maintenant les coupables du krach de 2008. Il n’empêche : pour les étatistes, la crise serait due au manque de réglementation, la faiblesse de l’Etat aurait conduit à l’hyperspéculation. À cette thèse, les libéraux opposent deux arguments. La spéculation immobilière aux Etats-Unis, point de départ de la crise, a été vivement encouragée par l’Etat ; les crédits hypothécaires bénéficiant d’une garantie publique (par les banques Freddie Mac et Fanny Mae), les banques ont prêté et les emprunteurs se sont endettés au-delà du raisonnable. L’Etat aurait donc faussé le marché ! Autre argument libéral : le laxisme de la Banque centrale américaine. Anna Schwartz (cofondateur avec Milton Friedman, de la théorie monétariste) accuse Alan Greenspan et son successeur Ben Bernanke d’avoir inondé le marché d’une quantité de monnaie incontrôlée. Auteur de l’Histoire monétaire des Etats-Unis, Anna Schwartz rappelle que toutes les crises américaines ont toujours été générées par la surabondance de monnaie : elle seule permet la spéculation et les bulles. Réglementer les marchés financiers lorsque ceux-ci croulent sous l’argent, dit Anna Schwartz, est techniquement impossible. Pour cette raison, Milton Friedman recommandait que la monnaie soit gérée selon des critères arithmétiques et non pas au gré de l’humeur des banquiers centraux et des gouvernements.

Les étatistes interprètent donc la crise comme née d’une insuffisance d’Etat et les libéraux , d’une incapacité de l’Etat ; libéraux et étatistes divergent autant sur les solutions. Les circonstances aidant, ce sont aujourd’hui, les étatistes que l’on entend et qui décident ; les libéraux sont relégués dans l’opposition. Dans tout l’Occident (en Asie, on est plus prudent), il n’est question que de réglementation et de dépenses publiques. Par bonheur, nous ne sommes plus dans les années 1930 ni dans l’après-guerre : les appels au protectionnisme, au nationalisme et au socialisme restent ultra minoritaires. Les étatistes ont intériorisé les progrès de la science économique : ils admettent qu’il faut rétablir le marché, pas y renoncer.

Mais en quoi la dépense publique pourrait-elle relancer la croissance ? L’espoir repose sur le « multiplicateur Keynésien » : chaque Euro investi dans l’économie produirait à terme une fois et demie sa valeur et autant d’emplois dérivés. Théorie séduisante , mais envisagée comme fausse dès 1974 par Robert Barro parce que tout Euro investi par l’Etat est soustrait au secteur privé ; or , les investissements publics sont généralement moins productifs que les investissements privés. La dépense publique peut être un facteur de relance , on ne le sait pas par avance ; de manière certaine elle est un transfert de pouvoir des entrepreneurs privés vers les bureaucrates publics. Contre la crise, les libéraux proposent donc, non pas des dépenses publiques, mais des réductions d’impôts durables favorables à l’investissement privé, supposé plus efficace que l’investissement public .

À ces relances , étatiste par la dépense publique et libérale par la baisse des impôts, on objectera qu’elles ne s’attaquent pas à la racine de la crise : la défaillance généralisée du crédit. La crise actuelle est avant tout financière et le restera aussi longtemps que les banques se méfieront les unes des autres ; le crédit ne sera rétabli que par l’élimination des dérivés financiers toxiques qui encombrent les bilans. Faudrait-il nationaliser les banques ? Les étatistes y sont favorables, mais tous les Etats ne sont pas solvables et rien ne garantit qu’une banque nationalisée sera gérée de manière rationnelle. Les libéraux suggèrent plutôt que les dérivés toxiques soient mis sur le marché qui en fixera le juste prix : le risque de cette solution libérale est la faillite de certaines institutions financières. « Mieux vaudrait la faillite d’entreprises mal gérées que de prolonger indéfiniment le gel du crédit », dit Anna Schwartz. Radicalement libérale, elle est favorable à l’application du principe capitaliste de « création destructrice » aux banques : des entreprises comme les autres.

Ces solutions libérales ont été synthétisées dans une pétition en circulation, rédigée par deux Prix Nobel d’économie, Ed Prescott et Vernon Smith. « Tous les économistes ne sont pas devenus Keynésiens, écrivent-ils, et tous ne considèrent pas que la dépense publique améliore la croissance. La dépense publique au temps de Franklin Roosevelt n’a pas sorti les Etats-Unis de la dépression des années 1930. Elle n’a pas sauvé l’économie japonaise dans les années 1990. Croire que la dépense publique aide l’économie, c’est un espoir que contredit l’expérience. Le retour à la croissance exige de supprimer les obstacles au travail, à l’épargne et à l’investissement : en particulier par la baisse durable des impôts. »

Cette pétition est actuellement minoritaire, y compris chez les économistes, sensibles aux vents dominants. Mais en 1930, Jacques Rueff en France et Friedrich Hayek en Grande-Bretagne étaient minoritaires : ils accusaient la théorie Keynésienne de conduire à l’inflation et pas au plein emploi. L’histoire leur a donné raison. Pendant la crise de 1974 à 1979, Robert Barro et Milton Friedman contre le renouveau Keynésien étaient aussi minoritaires, et ils avaient également raison : c’est le retour au libéralisme à partir des années 1980 qui a rétabli l’emploi et la croissance au lieu de l’inflation et du chômage.

Au nom du bonheur commun, souhaitons que les politiques de relance en cours aux Etats-Unis comme en Europe réussissent ; on sait d’expérience, qu’un succès à court terme est possible mais qu’ il serait certainement suivi d’un retour à l’inflation. Il reste donc indispensable de préparer une alternative , ce que Hayek appelait, une utopie de rechange.