dimanche 12 avril 2009

La déflation: une peur injustifiée




Nathalie Elgrably

Le Journal de Montréal, p. 29

09 avril 2009


Depuis quelques mois, les banques centrales de par le monde défendent leurs importantes injections de monnaie en affirmant qu’elles visent à contrer un phénomène redoutable, un monstre terrifiant, un spectre angoissant: la déflation!

Selon plusieurs analystes, il serait catastrophique que les prix baissent de manière soutenue et généralisée, car (1) comme tout coûtera moins cher demain, la déflation encouragerait les individus à réduire aujourd’hui leurs dépenses de consommation dans l’espoir de bénéficier des aubaines futures, ce qui compromettrait la viabilité des entreprises; et (2) la baisse des prix réduirait la profitabilité des entreprises et les acculerait à la faillite.

En apparence acceptables, ces deux arguments sont néanmoins bancals. Tout d’abord, déclarer que la déflation réduit la consommation, c’est affirmer que plus les prix des produits baissent, moins les gens en achètent. Mais est-ce vraiment logique?

Si on exprime le prix d’un bien en fonction du nombre d’heures de travail nécessaires payées au salaire médian pour l’acquérir, on constate que le prix de la plupart des biens ne cesse de diminuer.

Par exemple, en 1950, l’achat d’un réfrigérateur ou d’une télé équivalait à 154 et 162 heures de travail respectivement. Aujourd’hui, on peut se procurer les mêmes biens, mais de qualité largement supérieure, en travaillant 22 et 30 heures. De manière générale, les produits coûtent de 3 à 20 fois moins cher qu’il y a un demi-siècle. C’est la déflation par la productivité.

Or, n’avons-nous jamais reporté un achat sous prétexte de bénéficier des gains de productivité ultérieurs?

Ce n’est pas tout, même exprimés en valeur nominale, les prix de nombreux biens diminuent au fil du temps. C’est notamment le cas des ordinateurs et des produits électroniques que nous achetons toujours, même si nous savons pertinemment qu’ils coûteront moins cher demain.

Ajoutons que des prix moindres permettent aux consommateurs de réaliser des économies qu’ils pourront ensuite consacrer à l’achat de nouveaux produits ou d’autres biens auparavant inaccessibles. Est-ce là le drame déflationniste qu’on nous dépeint?

Quant aux entreprises, prétendre qu’elles seront moins profitables en période de baisse de prix est discutable.

En effet, d’une part, elles vendront davantage. D’autre part, ce n’est pas le prix de vente qui détermine la rentabilité d’une entreprise, mais l’écart entre ce prix et les coûts de production. Or, en période de déflation les prix des facteurs de production diminuent également. Donc, si les coûts diminuent au même rythme que les prix, la marge bénéficiaire est maintenue, et il n’y a aucune raison pour que la déflation nuise aux affaires.

Notons d’ailleurs que les États-Unis avaient enregistré une période de croissance entre 1875 et 1895 malgré une déflation de 1,7% par année. La vision apocalyptique d’un monde où notre pouvoir d’achat augmenterait est donc injustifiée.

Mais alors, à qui le fait que l’argent prenne de la valeur peut-il nuire? Et à qui l’inflation profite-t-elle? À celui qui a des dettes, bien entendu! En période de déflation, la valeur réelle d’une dette augmente, tandis qu’elle diminue dans la situation contraire. Et qui est particulièrement endetté? Les gouvernements en général, Washington en particulier, ainsi que toutes les entreprises qui ne pourraient survivre sans l’argent des plans de sauvetage.

Est-ce donc vraiment parce qu’ils se soucient du bien-être des consommateurs que les États font la guerre à la déflation? Et est-ce réellement pour protéger les entreprises qu’ils nous vantent les mérites d’un faible taux d’inflation? Peut-être. Mais ne serait-il pas également possible que les gouvernements soient plus préoccupés à alléger le fardeau de leur dette qu’à protéger notre pouvoir d’achat?

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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