par Sylvère Tajan, Institut Hayek
9 juin 2009
L'on parle de plus en plus de l'échec de la régulation. C'est même devenu l'un des leitmotivs les plus courants pour expliquer la crise quand on veut y voir à tout prix l'aboutissement d'une dérive libérale. Les partisans de cette "thèse" ont effectivement raison sur leur conclusion : la crise démontre bien un échec patent de la régulation. Mais pas dans le sens qu'ils voudraient bien y voir. Si échec de la régulation il y a, ce n'est pas l'échec de telle ou telle régulation. Ce n'est pas non plus l'échec du trop peu ou du trop de régulation. Ce n'est pas un problème de réglage. Non. Si échec de la régulation il y a, c'est l'échec du principe même de la régulation. Et pour bien le comprendre, encore faut il se poser la question des origines, des causes profondes de la régulation bancaire et monétaire : une régulation née non pas pour encadrer des excès supposés du marché, ou des défaillances intrinsèques du libéralisme économique, mais créée par nécessité, suite à l'intrusion de l'Etat dans le marché monétaire et bancaire. Le but fondamental de la régulation bancaire n'est pas d'empêcher l'on ne sait quel dérive réelle ou fantasmée d'un marché livré à lui même. Le but fondamental de la régulation étatique est de casser l'auto-régulation du marché, car cette dernière, de par la responsabilité qu'elle impose aux acteurs, contraint la prise de risque, l'effet de levier, et la création immodérée de crédit et de monnaie.
Un système bancaire à réserve fractionnaire
Le système bancaire mondial actuel est un système bancaire à réserve fractionnaire. Le sujet de cet article n'est pas de justifier ou dénoncer ce système particulier de fonctionnement des institutions bancaires. Après tout, dans un système bancaire vraiment libre (c'est-à-dire bien loin de celui dans lequel nous vivons), rien n'interdirait une banque de choisir ce mode de fonctionnement, si tant est qu'elle en assume les risques, et ses clients avec elle. Mais encore une fois, là n'est pas le sujet.
Le principe du système bancaire à réserve fractionnaire est qu'une banque reçoit de ses clients de l'argent en dépôt, mais qu'elle ne conserve en réserve qu'une partie de cette somme, le reste pouvant être prêté contre intérêt. Comme chaque client est toujours en droit de réclamer à tout moment la restitution de ses dépôts bancaires, mais que seule une fraction de ces dépôts est effectivement disponible dans les coffres de la banque, cette dernière est exposée, dans le cas où un nombre trop élevés de clients voudrait récupérer ses fonds simultanément, à se retrouver à court de liquidité. Si le phénomène ne concerne qu'une seule banque, et dans la mesure où les prêts qu'elle a consentis avec une partie des dépôts sont solides (prêts non frauduleux, à des emprunteurs solvables), une banque à court de liquidité de manière passagère peut néanmoins escompter emprunter à son tour (à d'autres banques par exemple), l'argent nécessaire aux retraits imprévus de ses propres clients, en apportant en garantie les créances qu'elle possède.
Le processus reste néanmoins un équilibre plus ou moins fragile, et le moindre accroc tel qu'une insuffisance de fonds propres, ou l'apparition de créances douteuses dans le bilan de la banque, peut engendrer une perte de confiance à la fois des clients et des prêteurs de liquidité potentiels : la banque est alors victime d'un Bank Run, une panique bancaire dans laquelle tous les clients se précipitent simultanément pour récupérer leurs dépôts, dans le même temps qu'il devient difficile voire impossible d'emprunter plus de liquidités sur les marchés inter-bancaires pour rembourser les dépôts. C'est un risque intrinsèque inhérent au système de réserve fractionnaire. A l'inverse, "l'avantage" du système est de stimuler le crédit puisque l'épargne n'est plus la seule source de crédit. C'est un avantage qui séduit notamment les banquiers (d'avantage de crédit, c'est d'avantage d'intérêts et donc d'avantage de revenus), et les gouvernements (d'avantage de crédit, c'est plus de guerres, d'argent à distribuer aux électeurs qui les soutiennent, etc.).
L'effet de levier bancaire : le multiplicateur monétaire
Le principe même du système de réserve fractionnaire démultiplie le crédit disponible bien au-delà de la somme des dépôts encaissés : en effet, quand une banque reçoit un dépôt de 100 Euros, si on décide par exemple que la fraction du dépôt qu'elle doit conserver dans ses coffres par sécurité est de 20%, elle est susceptible de prêter 80% de la somme nouvellement déposée, soit 80 Euros. Elle prête donc ces 80 Euros à un autre client, qui achète immédiatement pour 80 Euros de biens divers et variés. Imaginons maintenant pour simplifier (mais le résultat serait le même autrement) que le vendeur de ces biens soit également client de la même banque : il va venir déposer ces 80 Euros nouvellement gagnés, dans sa banque. La banque reçoit alors un nouveau dépôt de 80 Euros, dont elle va conserver en réserve 20 % (soit 16 Euros). Elle va également pouvoir prêter 80% de ce nouveau dépôt selon sa politique, soit 64 Euros. Qui finiront également par être déposés et ainsi de suite. Au bout d'un certain nombre d'itérations, la banque se retrouvera avec un total de dépôts conservés en réserve qui va tendre mathématiquement vers 100 Euros. Elle aura par contre dans ses comptes pour 500 Euros de dépôts (pour un nombre infini d'itérations - dans les faits, un peu moins). Elle détiendra également pour 400 Euros de créances envers des tiers ce qui équilibre son bilan (100 Euros de réserves + 400 Euros de créances contre 500 Euros de dépôts). Les 400 Euros de différence entre les 100 Euros initialement déposés et les 500 Euros finalement en dépôt à l'issu du cycle de prêts, sont de l'argent créé par la banque, de la monnaie de crédit ou monnaie scripturale.
Dans le système de réserve fractionnaire dans lequel nous vivons, la monnaie est une dette. Elle est créée par les banques commerciales. On voit bien dans le mécanisme décrit ci-dessus, que le choix du pourcentage des dépôts qui seront conservés en réserve influe directement sur la quantité de crédit, donc de monnaie qui sera insufflée dans le système. Si à la place des 20% de réserve de notre exemple, on avait choisi de n'en conserver que 10%, on aurait terminé avec non pas 500 Euros mais 1000 Euros de dépôts. On appelle ainsi multiplicateur monétaire la variable par laquelle est potentiellement multiplié tout dépôt initial. Il est égal à 1 divisé par le ratio de réserve choisi : dans notre exemple, avec un ratio de réserve de 20% (soit 0.20), on obtient 1 / 0.2 = 5 (le multiplicateur monétaire est de 5, et en effet, la masse monétaire initiale de 100 Euros va être multipliée par 5 pour atteindre un total de 500 Euros). Avec un ratio de réserve à 10%, le multiplicateur est à 10.
Naissance de la régulation : socialisation du risque et aléa moral
Dans un système de réserve fractionnaire peu régulé, le risque majeur constitué par la menace d'un Bank Run est un élément d'équilibre qui limite de trop grandes dérives : chaque banque, pour conserver la confiance à la fois de ses déposants et des marchés financiers, se doit de conserver un certain niveau de réserves (donc un ratio de réserve suffisant), des fonds propres en quantité adéquate, et de pratiquer une politique de prêt à risque mesuré. Le facteur de risque intrinsèque limite l'effet de levier. En effet, la banque étant contrainte de conserver un ratio de réserve suffisant, le multiplicateur monétaire reste lui même limité. Ce qui ne fait pas l'affaire des banquiers qui préféreraient augmenter la part d'argent prêté pour augmenter d'autant leurs revenus. Ni des gouvernements qui ont besoin du crédit pour financer leurs dérives. Il n'en fallait pas plus pour précipiter l'alliance de la banque et des gouvernements, dans le but de limiter le risque intrinsèque de Bank Run, étape indispensable pour baisser l'exigence de réserve et libérer la possibilité de création de crédit. C'est en partie pour cela que sont nées les Banques Centrales. L'idée était d'organiser la solvabilité des banques en cas de retraits simultanés d'un grand nombre de clients d'un établissement, en mettant en place une mutualisation des réserves de dépôt au sein d'une banque centrale : chaque banque pourrait ainsi puiser dans les réserves cumulées de l'ensemble des banques participantes, pour faire face à un éventuel afflux subit de retraits.
Mais ce faisant, le risque était de voir chaque banque tirer la couverture à soi en utilisant le pot commun pour se permettre un effet de levier plus important que les banques voisines : en réduisant le risque de chacun, on créait ainsi un aléa moral (moral hazard en anglais), c'est à dire la tentation voire l'incitation à prendre plus de risque au détriment de la collectivité. Les assurances connaissent bien ce type de problème. Si vous assurez la voiture d'un individu contre tout dégât qu'il pourra occasionner lui-même, vous constatez immédiatement un relâchement de l'attention de cette personne et une augmentation proportionnelle des dégâts subits : pour les assurances, le moyen de lutter contre cet aléa moral est le système des franchises (en assumant une partie du coût, par exemple la première tranche jusqu'à concurrence d'un certain montant, le conducteur conservera une conduite prudente). Dans le cas des banques, la contrepartie de la mutualisation des réserves est nécessairement l'introduction de règles de conduites communes : un ratio de réserve imposé, et pourquoi pas un montant minimal de fond propres par rapport aux dettes contractées, voire des règles concernant la qualité et le contrôle des prêts consentis avec la part des dépôts non conservés en réserve.
La régulation bancaire est ainsi née de l'intervention première de l'Etat, de sa volonté de limiter le risque fondamental couru par une banque dans un système de réserve fractionnaire : celui du Bank Run. Paradoxalement, la régulation bancaire est née non de la volonté de poser des limites ou des contraintes à une système financier et monétaire de libre marché jugé trop anarchique, mais bien de la volonté de l'Etat de permettre de plus grands effets de levier, une plus grande production de crédits, une plus grande prise de risque que le seul marché aurait naturellement toléré, et ce dans un environnement donnant l'illusion d'une plus grande sécurité par une mutualisation des risques, une socialisation programmée des pertes.
La fuite en avant vers une crise programmée
Toute l'histoire du système bancaire et monétaire est ensuite une fuite en avant pour affranchir les banques du risque fondamental qui les empêche d'augmenter leur effet de levier : abandon progressif de l'étalon or, incitation à l'assouplissement des critères de solvabilité des emprunteurs en faisant garantir les prêts par des institutions para étatiques ou par l'Etat lui même, mise en place de fonds de garantie des dépôts (toujours sous-dotés par rapport aux risques mais avec la caution implicite ou explicite de l'Etat) et quand cela ne suffit pas, la garantie implicite d'une nationalisation, c'est-à-dire de socialiser les pertes. A chaque étape, l'aléa moral augmente. L'incitation à courir plus de risque en augmentant l'effet de levier, en réduisant ses fonds propres ou en négligeant la qualité des prêts consentis s'accroit. On aurait alors pu penser que la pression régulatrice allait s'intensifier pour prévenir cette incitation à la prise de risque.
Bien au contraire, les critères se sont assouplis au fil du temps, et pour cause : la motivation première derrière cette bataille acharnée pour faire disparaître le risque inhérent au système de crédit bancaire est justement d'abattre le principal frein à la multiplication du crédit. Et quand je dis "faire disparaitre le risque", je devrais plutôt dire "le déplacer", car le risque, loin d'être supprimé, est juste déplacé des institutions bancaires à la collectivité nationale. Le rôle de la régulation dans ce contexte de socialisation du risque bancaire, est de limiter le risque de cataclysme systémique, tout en laissant suffisamment de place, le maximum de place, pour une production maximale de crédit et de monnaie par des banques débridées, se sentant faussement dédouanées du risque naturel que fait peser le marché libre sur elles dans un système libéral où la responsabilité est le premier des corollaires de la liberté et de la propriété.
Car si la régulation avait pour fonction et résultat de contraindre l'exercice du crédit bancaire à des limites raisonnables pour éviter tout débordement, la croissance continue de l'arsenal réglementaire devrait logiquement avoir accouché au cours des ans de contraintes également croissantes. Il n'en est rien, bien au contraire : avant la création de la FED aux Etats-Unis, le ratio de réserve était de 25%. A la promulgation du Federal Reserve Act de 1913, les nouveaux ratios allaient de 12 à 18% en fonction du type d'institution bancaire concerné. Aujourd'hui il est de 10%. Aux Etats-Unis. A titre de comparaison, le ratio de réserve dans la zone Euro est de ... 2%. On pourrait faire les mêmes constatations concernant les ratios d'endettement sur fonds propres, fonds propres dont les gouvernements ont régulièrement dénaturé la définition sous la pression des banques, tant la nécessité de poursuivre la fuite en avant du crédit prime sur l'impératif de conserver un semblant de solidité financière au système bancaire.
Il n'est alors pas difficile de comprendre l'enchaînement de long terme qui va conduire à des crises majeures comme celle que nous connaissons aujourd'hui. L'augmentation artificielle de la masse monétaire liée au gonflement des bulles de crédit conduit mécaniquement à des périodes de sur-croissance : de la croissance achetée à crédit qui débouchera immanquablement sur des récessions aussi sûrement qu'il faudra payer la note des crédits, et du déplacement temporel de la consommation qu'ils occasionnent. Ces récessions pourraient jouer leur rôle en dégonflant les bulles, en réinitialisant les économies : c'est sans compter sur nos gouvernements qui non content d'avoir provoqué ces récessions, se refusent à en assumer les nécessaires conséquences en terme de décroissance, de chômage, et d'ajustement des facteurs de production (fermetures d'usines). Une nouvelle couche de régulation est alors progressivement mise en oeuvre pour limiter au maximum ces ajustements (politiques de relance, limitation des licenciements, sauvetage des industries, protectionnisme ...). Cette régulation empêche la réinitialisation complète du système lors des récessions.
Au contraire, la machine est relancée avant que les bulles de crédits ne soient entièrement résorbées, et les nouvelles bulles se construisent sur les plaies parfois encore vivaces des précédentes. Au fils des ans, l'accumulation continuelle de cette inflation jamais résorbée, de cette dette jamais remboursée, conduit irrémédiablement jusqu'au point de rupture. Cette accumulation progressive suivant une courbe exponentielle, elle est rarement détectée dans ses manifestations dès l'origine, et laisse à penser que seuls les excès des toutes dernières bulles sont en cause. La réalité est que les fondements sont beaucoup plus anciens, et que les dérives les plus récentes et les plus voyantes ne sont que l'aboutissement de choix fondamentaux faits il y a plus d'un siècle et progressivement ancrés dans nos structures économiques.
L'accumulation de la dette, et notamment des dettes publiques, l'inflation monétaire, la croissance sans fin du crédit sont des facettes différentes d'un seul et même phénomène. Ce n'est pas l'absence ou la faiblesse de la régulation qui a permis ces dérives : la régulation bancaire et monétaire a été créée dans le but explicite de favoriser ces dérives. Si échec de la régulation étatique il y a, c'est bien celui-ci : c’est l'échec de la promesse absurde que cette régulation là saurait permettre la croissance indéfinie du crédit, de la dette et de la masse monétaire de manière contrôlée.
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© Silvère Tajan & Institut Hayek, Juin 2009
Naissance de la régulation : socialisation du risque et aléa moral
Dans un système de réserve fractionnaire peu régulé, le risque majeur constitué par la menace d'un Bank Run est un élément d'équilibre qui limite de trop grandes dérives : chaque banque, pour conserver la confiance à la fois de ses déposants et des marchés financiers, se doit de conserver un certain niveau de réserves (donc un ratio de réserve suffisant), des fonds propres en quantité adéquate, et de pratiquer une politique de prêt à risque mesuré. Le facteur de risque intrinsèque limite l'effet de levier. En effet, la banque étant contrainte de conserver un ratio de réserve suffisant, le multiplicateur monétaire reste lui même limité. Ce qui ne fait pas l'affaire des banquiers qui préféreraient augmenter la part d'argent prêté pour augmenter d'autant leurs revenus. Ni des gouvernements qui ont besoin du crédit pour financer leurs dérives. Il n'en fallait pas plus pour précipiter l'alliance de la banque et des gouvernements, dans le but de limiter le risque intrinsèque de Bank Run, étape indispensable pour baisser l'exigence de réserve et libérer la possibilité de création de crédit. C'est en partie pour cela que sont nées les Banques Centrales. L'idée était d'organiser la solvabilité des banques en cas de retraits simultanés d'un grand nombre de clients d'un établissement, en mettant en place une mutualisation des réserves de dépôt au sein d'une banque centrale : chaque banque pourrait ainsi puiser dans les réserves cumulées de l'ensemble des banques participantes, pour faire face à un éventuel afflux subit de retraits.
Mais ce faisant, le risque était de voir chaque banque tirer la couverture à soi en utilisant le pot commun pour se permettre un effet de levier plus important que les banques voisines : en réduisant le risque de chacun, on créait ainsi un aléa moral (moral hazard en anglais), c'est à dire la tentation voire l'incitation à prendre plus de risque au détriment de la collectivité. Les assurances connaissent bien ce type de problème. Si vous assurez la voiture d'un individu contre tout dégât qu'il pourra occasionner lui-même, vous constatez immédiatement un relâchement de l'attention de cette personne et une augmentation proportionnelle des dégâts subits : pour les assurances, le moyen de lutter contre cet aléa moral est le système des franchises (en assumant une partie du coût, par exemple la première tranche jusqu'à concurrence d'un certain montant, le conducteur conservera une conduite prudente). Dans le cas des banques, la contrepartie de la mutualisation des réserves est nécessairement l'introduction de règles de conduites communes : un ratio de réserve imposé, et pourquoi pas un montant minimal de fond propres par rapport aux dettes contractées, voire des règles concernant la qualité et le contrôle des prêts consentis avec la part des dépôts non conservés en réserve.
La régulation bancaire est ainsi née de l'intervention première de l'Etat, de sa volonté de limiter le risque fondamental couru par une banque dans un système de réserve fractionnaire : celui du Bank Run. Paradoxalement, la régulation bancaire est née non de la volonté de poser des limites ou des contraintes à une système financier et monétaire de libre marché jugé trop anarchique, mais bien de la volonté de l'Etat de permettre de plus grands effets de levier, une plus grande production de crédits, une plus grande prise de risque que le seul marché aurait naturellement toléré, et ce dans un environnement donnant l'illusion d'une plus grande sécurité par une mutualisation des risques, une socialisation programmée des pertes.
La fuite en avant vers une crise programmée
Toute l'histoire du système bancaire et monétaire est ensuite une fuite en avant pour affranchir les banques du risque fondamental qui les empêche d'augmenter leur effet de levier : abandon progressif de l'étalon or, incitation à l'assouplissement des critères de solvabilité des emprunteurs en faisant garantir les prêts par des institutions para étatiques ou par l'Etat lui même, mise en place de fonds de garantie des dépôts (toujours sous-dotés par rapport aux risques mais avec la caution implicite ou explicite de l'Etat) et quand cela ne suffit pas, la garantie implicite d'une nationalisation, c'est-à-dire de socialiser les pertes. A chaque étape, l'aléa moral augmente. L'incitation à courir plus de risque en augmentant l'effet de levier, en réduisant ses fonds propres ou en négligeant la qualité des prêts consentis s'accroit. On aurait alors pu penser que la pression régulatrice allait s'intensifier pour prévenir cette incitation à la prise de risque.
Bien au contraire, les critères se sont assouplis au fil du temps, et pour cause : la motivation première derrière cette bataille acharnée pour faire disparaître le risque inhérent au système de crédit bancaire est justement d'abattre le principal frein à la multiplication du crédit. Et quand je dis "faire disparaitre le risque", je devrais plutôt dire "le déplacer", car le risque, loin d'être supprimé, est juste déplacé des institutions bancaires à la collectivité nationale. Le rôle de la régulation dans ce contexte de socialisation du risque bancaire, est de limiter le risque de cataclysme systémique, tout en laissant suffisamment de place, le maximum de place, pour une production maximale de crédit et de monnaie par des banques débridées, se sentant faussement dédouanées du risque naturel que fait peser le marché libre sur elles dans un système libéral où la responsabilité est le premier des corollaires de la liberté et de la propriété.
Car si la régulation avait pour fonction et résultat de contraindre l'exercice du crédit bancaire à des limites raisonnables pour éviter tout débordement, la croissance continue de l'arsenal réglementaire devrait logiquement avoir accouché au cours des ans de contraintes également croissantes. Il n'en est rien, bien au contraire : avant la création de la FED aux Etats-Unis, le ratio de réserve était de 25%. A la promulgation du Federal Reserve Act de 1913, les nouveaux ratios allaient de 12 à 18% en fonction du type d'institution bancaire concerné. Aujourd'hui il est de 10%. Aux Etats-Unis. A titre de comparaison, le ratio de réserve dans la zone Euro est de ... 2%. On pourrait faire les mêmes constatations concernant les ratios d'endettement sur fonds propres, fonds propres dont les gouvernements ont régulièrement dénaturé la définition sous la pression des banques, tant la nécessité de poursuivre la fuite en avant du crédit prime sur l'impératif de conserver un semblant de solidité financière au système bancaire.
Il n'est alors pas difficile de comprendre l'enchaînement de long terme qui va conduire à des crises majeures comme celle que nous connaissons aujourd'hui. L'augmentation artificielle de la masse monétaire liée au gonflement des bulles de crédit conduit mécaniquement à des périodes de sur-croissance : de la croissance achetée à crédit qui débouchera immanquablement sur des récessions aussi sûrement qu'il faudra payer la note des crédits, et du déplacement temporel de la consommation qu'ils occasionnent. Ces récessions pourraient jouer leur rôle en dégonflant les bulles, en réinitialisant les économies : c'est sans compter sur nos gouvernements qui non content d'avoir provoqué ces récessions, se refusent à en assumer les nécessaires conséquences en terme de décroissance, de chômage, et d'ajustement des facteurs de production (fermetures d'usines). Une nouvelle couche de régulation est alors progressivement mise en oeuvre pour limiter au maximum ces ajustements (politiques de relance, limitation des licenciements, sauvetage des industries, protectionnisme ...). Cette régulation empêche la réinitialisation complète du système lors des récessions.
Au contraire, la machine est relancée avant que les bulles de crédits ne soient entièrement résorbées, et les nouvelles bulles se construisent sur les plaies parfois encore vivaces des précédentes. Au fils des ans, l'accumulation continuelle de cette inflation jamais résorbée, de cette dette jamais remboursée, conduit irrémédiablement jusqu'au point de rupture. Cette accumulation progressive suivant une courbe exponentielle, elle est rarement détectée dans ses manifestations dès l'origine, et laisse à penser que seuls les excès des toutes dernières bulles sont en cause. La réalité est que les fondements sont beaucoup plus anciens, et que les dérives les plus récentes et les plus voyantes ne sont que l'aboutissement de choix fondamentaux faits il y a plus d'un siècle et progressivement ancrés dans nos structures économiques.
L'accumulation de la dette, et notamment des dettes publiques, l'inflation monétaire, la croissance sans fin du crédit sont des facettes différentes d'un seul et même phénomène. Ce n'est pas l'absence ou la faiblesse de la régulation qui a permis ces dérives : la régulation bancaire et monétaire a été créée dans le but explicite de favoriser ces dérives. Si échec de la régulation étatique il y a, c'est bien celui-ci : c’est l'échec de la promesse absurde que cette régulation là saurait permettre la croissance indéfinie du crédit, de la dette et de la masse monétaire de manière contrôlée.
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© Silvère Tajan & Institut Hayek, Juin 2009
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